La pubalgie, une pathologie fréquente et complexe mais parfois inévitable
Fléau du footballeur comme de beaucoup d’autres sportifs, la pubalgie est un syndrome douloureux qui concerne la région pubienne et inguinale, sans critère diagnostic précis. C’est une pathologie fréquente, qui regroupe différentes entités, nécessitant une prise en charge adaptée et parfois longue loin des terrains. Toutefois, ce n’est pas une fatalité et nous allons voir que des mesures préventives bien conduites peuvent permettre de l’éviter. De même, un diagnostic précoce après un examen précis peut en raccourcir l’évolution.
Rappel anatomique
Les deux os coxaux s’articulent entre eux en avant au niveau de la symphyse pubienne et en arrière avec le sacrum. L’ensemble forme une structure stable, la ceinture pelvienne, plus communément appelée bassin. La symphyse pubienne est l’articulation formée par la jonction des deux branches pubiennes en avant. Peu mobile, ses surfaces articulaires planes sont renforcées par de puissants ligaments. Des muscles très puissants viennent s’insérer sur cette symphyse : groupe des adducteurs sur la face inférieure, grand droit de l’abdomen sur la face supérieure et muscles du plancher pelvien sur la face postérieure. Des forces importantes de traction et de cisaillement dans les 3 plans de l’espace s’exercent ainsi sur cette articulation peu congruente. La pubalgie résulte d’une instabilité par déséquilibre des forces exercées sur cette région.
Facteurs favorisants
Les facteurs favorisants extrinsèques des pubalgies sont les suivants : sport asymétrique, chaussures inadaptées au terrain, augmentation de la charge d’entraînement ou modification du type d’entraînement, fatigue, règles d’hygiène de vie, hydratation insuffisante.
Les facteurs favorisants intrinsèques sont l’antéversion du bassin, souvent associée à une hyperlordose lombaire compensatrice (cambrure excessive), l’inégalité de longueur des membres inférieurs, une limitation de la mobilité de la hanche, par un conflit notamment, ou encore le déséquilibre entre différents groupes musculaires : adducteurs et abducteurs de hanche, adducteurs et abdominaux, ischio-jambiers et psoas-iliaque, ou encore muscles du plancher pelvien et grands droits de l’abdomen.
Quels sports ?
Les sports concernés sont ceux imposant une stabilisation du bassin en appui monopodal (sur un pied), notamment ceux qui nécessitent des changements de direction fréquents et rapides ainsi que de nombreuses accélérations et décélérations, des dribbles… Le football est le meilleur exemple. On se souviendra de la pubalgie de Ribéry, qui l’a éloigné plusieurs mois du terrain. Le rugby, le handball, l’athlétisme ou le hockey sur glace sont aussi pourvoyeurs de cette pathologie.
Quels symptômes ?
Cliniquement, le sportif se plaint d’une douleur de la région pubienne apparue soit brutalement lors d’un mouvement qu’il peut décrire, soit d’installation progressive. Celle-ci peut irradier soit vers les abdominaux, soit vers les organes génitaux et la face interne des cuisses. Uniquement gênante lors de la pratique sportive initialement, elle peut devenir invalidante dans les gestes de la vie quotidienne. L’examen médical visera à tester la compétence des différents muscles stabilisateurs et mobilisateurs de bassin, dépister les facteurs favorisants et s’assurer de l’absence de pathologies digestives ou urogénitales qui sont des diagnostics différentiels. Cet examen permettra alors de s’orienter vers l’une de ces 4 entités : •Pathologies d’insertion des adducteurs • Pathologie d’insertion des abdominaux • Ostéoarthropathie symphysaire : forme articulaire de la pubalgie • Pathologies du canal inguinal.
Des examens complémentaires peuvent être utiles pour orienter ou confirmer le diagnostic : radiographies du bassin en charge et en appui monopodal, ou mieux, IRM qui est le meilleur examen pour explorer à la fois les éléments osseux, tendineux, musculaires et viscéraux.
Les différents types de pubalgies
• La pathologie d’insertion des adducteurs
Les muscles adducteurs constituent la loge interne de la cuisse. Ils sont au nombre de cinq : – Le plan superficiel constitué du muscle gracile – Le plan moyen constitué du plus superficiel au plus profond par le long adducteur et le pectinée, le court adducteur puis le grand adducteur. Plus profondément, on trouve l’obturateur interne et le carré fémoral, stabilisateurs antérieurs de la coxofémorale. La pathologie ostéotendino-musculaire des adducteurs touche principalement le long adducteur, soit au niveau de la jonction entre le muscle et le tendon, soit sur le tendon, soit au niveau de son insertion sur l’os. Lors du testing, l’abduction et l’adduction contrariée sont douloureuses. La radiographie du bassin, le plus souvent normale, peut toutefois retrouver des remaniements osseux de la branche ischio-pubienne.
• La pathologie d’insertion des muscles abdominaux
La paroi abdominale est formée par plusieurs couches musculaires. En avant, les grands droits, entourés par une aponévrose, et latéralement les grand oblique, petit oblique et transverse. Tous forment un ensemble musculo-aponévrotique qui s’insère sur la région pubienne et délimite le canal inguinal. La pubalgie dans ce cas est liée à une tendinopathie d’insertion des grands droits. La surcharge d’utilisation de ces derniers est dûe au déficit de stabilisation du transverse et de l’oblique interne. La douleur est augmentée par la toux, les efforts de poussée abdominale et les exercices de renforcement des grands droits.
• La pathologie du canal inguinal
Le canal inguinal est une zone de faiblesse de la paroi abdominale. C’est un canal d’environ 4 cm de long qui contient le cordon spermatique chez l’homme et le ligament rond chez la femme. Il est en principe obturé par une membrane, le fascia transversalis. Cette zone peut se distendre, voire se déchirer, et devenir douloureuse. Le traitement dans ce cas consiste en une intervention chirurgicale pour retendre le fascia.
• L’ostéo arthropathie symphysaire
Il s’agit d’une atteinte osseuse, du fibrocartilage ou des enthèses de la symphyse pubienne. Celle-ci n’est ni rhumatismale, ni fracturaire, ni infectieuse. Elle est secondaire aux forces de cisaillement répétées sur l’articulation en appui monopodal alterné. La douleur est retrouvée à la palpation de la symphyse pubienne et à sa mobilisation par appui alternatif sur une aile iliaque puis sur l’autre. Le testing musculaire est en principe négatif. La radiographie peut montrer la calcification d’une enthèse ou des signes d’arthrose. L’IRM est l’examen de choix.
Quel traitement ?
Le traitement des pubalgies passe par une première phase de repos sportif impératif complet, dès les premières douleurs, pouvant durer jusqu’à 3 mois. La prise en charge par le kinésithérapeute est très précoce, comportant dans un premier temps de la physiothérapie antalgique, pour faire disparaître les douleurs, associée à des massages transverses profonds des insertions tendineuses et à des massages décontracturants du psoas, des muscles abdominaux et des adducteurs. Les mobilisations passives et étirements infra douloureux ont également leur place à ce moment de la prise en charge, afin de réharmoniser les amplitudes articulaires et la mobilité rachidienne. Ils concernent tous les groupes musculaires incriminés lors du bilan (carré des lombes, transverses, obliques, psoas, pelvitrochantériens, adducteurs, ischiojambiers, fessiers, fascia lata). Ensuite, la kinésithérapie consiste à une rééquilibration puis un renforcement des différents groupes musculaires pour assurer une stabilité optimale de la région. Ce travail de renforcement se fait principalement sur un mode excentrique. Enfin vient la reprise progressive de l’activité sportive. Elle est autorisée lorsque la contraction excentrique des différents groupes musculaires n’est plus douloureuse.
En cas d’échec d’un traitement bien conduit, on peut être amené à proposer des infiltrations de corticoïdes ou de la mésothérapie. La prise en charge chirurgicale est rarissime. Elle est proposée en cas de pubalgie pariéto-abdominale, pour retendre ou réparer la paroi. Exceptionnellement, une symphysiodèse peut être réalisée dans les cas d’hypermobilité symphysaire rebelle. La réussite de cette intervention n’est pas garantie. L’indication chirurgicale est toujours très discutée.
Comment l’éviter ?
La prévention passe par les étirements, le renforcement musculaire et les corrections posturales permettant ainsi un entretien de la stabilisation lombo-pelvienne.
ETIREMENTS: Les étirements sont indispensables pour assouplir les différents muscles. Ils doivent être réalisés à la fin de chaque séance. Il faut penser à étirer le psoas et les abdominaux en plus du quadriceps, des ischiojambiers et des adducteurs.
RENFORCEMENT MUSCULAIRE ET CORRECTIONS POSTURALES:
En parallèle, on ne peut que conseiller de réaliser un travail régulier de renforcement des muscles abdominaux profonds (transverse et obliques) et du plancher pelvien en isométrique (gainage). Il est fondamental de ne pas résumer les abdominaux aux fameuses tablettes de chocolat que sont les grands droits. Il faut les renforcer dans la globalité. Le gainage permet d’améliorer la compétence de tous les muscles abdominaux qui constituent la paroi abdominale antérieure mais aussi latérale et postérieure. Les abdominaux classiques, rapprochant les épaules des hanches, sont à proscrire, trop souvent mal effectués et néfastes pour le rachis et le périnée. En effet, ils ont tendance à raccourcir les grands droits au lieu de les étirer. Ce raccourcissement des grands droits pourra être à l’origine de la pubalgie, mais aussi de lombalgies par des compressions répétées au niveau des disques intervertébraux. Par ailleurs, ce type d’exercices provoque une hyperpression dans l’enceinte abdominale orientée vers le bas et l’avant qui est à l’origine d’une augmentation de pression sur le périnée, majorant à long terme les risques d’incontinence urinaire, de descente d’organe, d’hémorroïdes ou encore de hernie inguinale. Les mouvements de gainage permettent également de renforcer les muscles dorsaux qui interviennent également dans la stabilisation lombo-pelvienne et donc la prévention de la pubalgie.
S’assurer de l’absence de troubles statiques chez les pratiquants de sports à risque de pubalgie et les corriger avant l’intensification de la pratique est nécessaire, notamment encourager le port de semelles orthopédiques en cas d’inégalité de longueur des membres inférieurs. Pour lutter contre l’hyperlordose, la natation, notamment le dos crawlé, est recommandé. Brasse et papillon sont au contraire déconseillés. Les règles classiques de prévention des tendinites s’adaptent aux pubalgies : hydratation avant, pendant et après l’effort, régime alimentaire équilibré, sommeil correct, dépistage de caries ou de sinusites chroniques, tout foyer infectieux favorisant l’apparition de lésions musculo-tendineuses. Enfin, il est indispensable de porter des chaussures adaptées au type de terrain (gras, sec, synthétique).
Conclusion
La pubalgie est donc une pathologie fréquente et invalidante regroupant plusieurs entités. Il est indispensable de faire un diagnostic précis de la pathologie et du terrain anatomique sur lequel elle survient afin de mettre en œuvre un ensemble de mesures nécessaires à sa guérison définitive. Le repos sportif, la kinésithérapie, les corrections des troubles posturaux et les règles hygiéno-diététiques en sont les principales grandes lignes. Elle est une cause d’éloignement prolongé des terrains, d’où l’importance d’une prise en charge précoce. Rares sont les cas rebelles qui nécessitent infiltration ou mésothérapie. Encore plus exceptionnelles sont les indications de la chirurgie, pour laquelle les indications doivent être très bien définies.
Dr Lucie BEHAGUE Médecin du Sport IRMSHN